Par Marc Hupel du pôle Communication
C’est pourtant ce qui s’est produit le jeudi 16 octobre, lors de l’examen de la motion de censure déposée par une partie des députés de gauche contre le gouvernement de Sébastien Lecornu. Ce jour-là, le Parti socialiste a fait un choix dont les conséquences dépassent largement l’épisode parlementaire.
| On peut comprendre la volonté d’assurer la stabilité d’un pays ébranlé par des mois de crise institutionnelle et politique. Dans cette perspective, le refus de censurer le gouvernement pouvait sembler responsable. D’ailleurs, le Parti socialiste affirme rester pleinement dans l’opposition et entend peser dans la construction d’un budget tourné vers la justice sociale. C’est, en tout cas, ce que m’a affirmé la députée Claudia Rouaux, élue d’Ille-et-Vilaine : « Notre objectif, à l’issue du débat parlementaire, c’est de donner au pays un budget juste, un budget qui protège les plus fragiles et fait contribuer les plus fortunés, un budget qui donne aux services publics les moyens de leurs missions et prépare l’avenir, en particulier la transition écologique. » L’intention est noble. Mais à quel prix ?La question mérite d’être posée : qu’a réellement obtenu le Parti socialiste en contrepartie de son abstention, sinon un répit dérisoire ? Le gouvernement a annoncé la suspension d’un an de la réforme des retraites. Concrètement, cela revient à décaler de douze mois l’entrée en vigueur du relèvement de l’âge légal de départ à 64 ans : une mesure purement technique, sans remise en cause du fond du texte. L’architecture de la réforme demeure intacte, tout comme les principes qui la constitue : le recul de l’âge, la logique comptable et l’absence d’alternative structurelle au financement du système. Ce décalage d’un an n’a donc rien d’une victoire politique ou du mouvement syndical : il ne répond ni aux revendications, ni aux attentes des organisations et électeurs de gauche, qui espéraient un rejet clair de la politique gouvernementale. En réalité, le Parti socialiste a consenti à une forme de compromis moral : refuser de censurer le gouvernement Lecornu pour obtenir une promesse sans portée concrète, et préserver, croit-il, une image de responsabilité. Mais cette attitude brouille sa ligne idéologique. En soutenant tacitement un exécutif dont il conteste l’orientation sociale, le PS a renoncé à incarner une opposition ferme et lisible. Ce choix, en apparence pragmatique, fragilise la crédibilité du parti, déjà tiraillé entre sa base militante, majoritairement hostile à toute complaisance envers le pouvoir, et sa direction, soucieuse d’apparaître comme une force de gouvernement. Ce double discours, mêlant calcul politique et justification morale, achève d’affaiblir la cohérence de la gauche parlementaire, désormais incapable de parler d’une seule voix face à la majorité.La fracture ouverte par ce vote n’est pas un simple désaccord tactique entre sensibilités différentes : elle traduit une rupture profonde entre deux conceptions de l’action politique. D’un côté, ceux qui défendent une gauche de gouvernement, prête à des compromis au nom de la stabilité ; de l’autre, ceux qui exigent une opposition claire, quitte à provoquer la chute du pouvoir en place. Cette ligne de fracture rend désormais toute perspective d’union incertaine, que ce soit pour d’éventuelles législatives anticipées ou pour la prochaine élection présidentielle.Cette situation profite d’abord au Président de la République. Dans l’hypothèse d’une dissolution, le camp présidentiel, que l’on disait fragilisé, pourrait paradoxalement retrouver un espace politique. Face à une gauche éclatée et à une droite en recomposition, le centre droit macroniste se revendique de nouveau comme le seul pôle de stabilité. En invoquant le réflexe du « front républicain » contre le Rassemblement national, l’exécutif pourrait mobiliser une partie de l’électorat modéré et conserver un socle suffisant pour gouverner. Le calcul est limpide : plus la gauche se divise, plus le pouvoir en place consolide sa légitimité, non par adhésion, mais par absence d’alternative crédible.Le Rassemblement national, de son côté, tire profit de la désunion de ses adversaires et poursuit, méthodiquement, son entreprise d’unification des droites. La chute de popularité de Bruno Retailleau, président des Républicains, accélère encore cette recomposition.Ainsi, tandis que la gauche s’épuise dans ses querelles internes, l’extrême droite consolide sa stature d’alternative nationale, non par la force de ses idées, mais par la faiblesse de ceux qui prétendaient la combattre.En voulant se montrer responsable, le Parti socialiste a pris le risque de se rendre illisible. En sacrifiant l’unité de la gauche sur l’autel d’un compromis mineur, il a ouvert une brèche dont ses adversaires sauront tirer parti. Ce choix, présenté comme un acte de stabilité, pourrait bien marquer le début d’un effacement politique durable, celui d’une gauche incapable de parler d’une seule voix, et d’un centre affaibli, que seule la montée du Rassemblement national viendra désormais structurer. |



