Les images ont fait le tour du monde. Le 14 novembre 2024, la députée maorie Hana-Rawhiti Maipi-Clarke et une partie de ses collègues ont exécuté un haka en pleine séance, au Parlement néo-zélandais. Le haka, danse traditionnelle maorie, est bien plus qu’un simple rituel : il incarne la résistance et l’unité du peuple maori face aux injustices, un symbole fort de la lutte pour les droits et la reconnaissance de leur culture. Dans le même temps, plus de 40 000 personnes ont convergé pendant neuf jours vers le Parlement, dans un hikoi, marche pacifique maorie, formant les plus importantes manifestations de l’histoire récente du pays.

Ces évènements cristallisent une opposition entre deux visions de la démocratie

L’origine de ces mobilisations ? Un projet de loi controversé, le Treaty Principles Bill. Initiative de David Seymour, ministre de la Réglementation et leader du parti ultralibéral ACT New Zealand. Ce texte vise à redéfinir les termes du traité de Waitangi, fondateur de la nation néo-zélandaise et symbole du « partenariat » entre colons anglais et populations autochtones maories. Dans un pays qui a historiquement été perçu par le reste du monde comme un modèle d’entente mutuelle entre pouvoir colonial et peuples autochtones, ces évènements cristallisent une opposition entre deux visions de la démocratie : l’égalité parfaite entre les citoyens ou la reconnaissance des spécificités historiques, sociales et culturelles du peuple maori et de la nécessité de les protéger.

Hana-Rāwhiti Maipi-Clarke told the crowd this hīkoi was never about the bill she tore up in the House, instead it was about unity. Photo: Fox Meyer
Hana-Rawhiti Maipi-Clarke s’exprimant devant une foule de manifestants contre le projet de loi (Photo : Fox Meyer)

Le traité fondateur de la nation néo-zélandaise au cœur des oppositions

Le traité de Waitangi, signé en 1840 par les colons britanniques et plus de cinq-cents chefs de tribu maoris, comporte trois articles : le premier affirme la souveraineté de la Couronne britannique sur la Nouvelle-Zélande, le deuxième garantit aux Maoris la possession de leurs terres et le troisième consacre l’égalité des droits avec les colons. 

Ce traité fondamental a toujours fait l’objet d’interprétations divergentes entre les communautés autochtones et la Couronne. Certains concepts, notamment le tino rangatiratanga, que l’on peut plus ou moins traduire par « pleine souveraineté », ont historiquement été mal compris et peu respectés par les colons. Cette ambiguïté a permis une mise à l’écart progressive des populations autochtones dans les décisions politiques et économiques qui ont façonné la nation.

Malgré tout, depuis les années 1970-1980, les principes du traité sont de plus en plus reconnus comme ayant un statut législatif officiel. Cette reconnaissance s’est notamment matérialisée en 1975 avec l’entrée en vigueur du Treaty of Waitangi Act, qui crée entre autres un tribunal spécifique, le tribunal de Waitangi. Cette juridiction peut être saisie par les Maoris en cas de violation du traité, particulièrement en ce qui concerne la possession de leurs terres.Or, selon David Seymour, « Des interprétations créatives des « principes » du traité ont été utilisées pour justifier l’offre d’un accès différencié aux services financés par le contribuable, de postes garantis dans les commissions gouvernementales et même d’une autorité de santé distincte, le tout sur la base de l’ascendance des personnes » ce qui constitue « une invention du pouvoir judiciaire non élu et n’aurait passé aucun processus démocratique ». Le Treaty Principles Bill, projet de loi au cœur des tensions actuelles, vise donc à réinterpréter les termes du traité dans le but d’instaurer une « égalité des droits » entre tous les citoyens en limitant la présence d’organismes spécifiques au peuple maori.

Après avoir exposé les principes de base du traité, il est crucial de comprendre pourquoi ce projet de loi est perçu comme une menace pour les Maoris, en particulier en ce qui concerne leur accès aux services et leur représentation politique

David Seymour, député du parti ACT New Zealand et initiateur du Treaty Principles Bill (Photo : Michael Cunningham)

Une fracture démocratique

Cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte de remise en question globale des droits accordés aux Maoris par la coalition gouvernementale de centre-droit, qui mène la politique la plus à droite depuis des décennies en Nouvelle-Zélande. Elle s’oppose à ce qui constitue selon elle des politiques injustes envers la population non-Maorie. 

Depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2023, le premier ministre Christopher Luxon s’est ainsi employé à limiter l’influence de la langue et de la culture maories au sein des organisations étatiques et à démanteler les institutions spécifiques à cette minorité. 

Une loi donnant aux Maoris un droit de regard sur les questions environnementales a d’ailleurs été abrogée, et une autre disposition permettant aux enfants maoris pris en charge par l’État de garder un lien avec leur culture est remise en question. L’autorité de santé maorie a été purement et simplement supprimée. Par ailleurs, certaines personnalités politiques, comme l’ancienne première ministre Jeanny Shirley, ont déjà par le passé réclamé la limitation des pouvoirs du tribunal de Waitangi, le jugeant dépassé et arbitraire.

C’est déjà un grand progrès, car il ouvre la voie à une banalisation de l’idée selon laquelle la démocratie néo-zélandaise accorderait des privilèges injustifiés aux Maoris.

Bien que cette communauté constitue environ 17 % de la population néo-zélandaise, soit près de 900 000 personnes, ils continuent de faire face à des inégalités sociales profondes, notamment en matière de pauvreté, d’espérance de vie et d’accès aux services publics. Selon les opposants au projet de loi, ce dernier aggraverait les inégalités sociales entre les Maoris et le reste de la population néo-zélandaise.

Pourtant, d’après David Seymour, les mesures instaurées pour limiter ces inégalités constituent une injustice, indigne d’une démocratie : « Quelle sorte de société a-t-on lorsqu’un groupe a des droits politiques que les autres n’ont pas ? Ce n’est pas l’égalité et ce n’est pas la démocratie », a-t-il insisté en présentant le projet de loi en juin dernier.

Bien qu’il ait été voté en première lecture, le Treaty Principles Bill a peu de chances d’aboutir, car il suscite des oppositions au sein même de la coalition gouvernementale, dont les principaux partis ont déjà annoncé qu’ils ne voteraient pas la loi. 

Mais selon les initiateurs du projet, le simple fait que le sujet soit abordé est déjà un grand progrès, car il ouvre la voie à une banalisation de l’idée selon laquelle la démocratie néo-zélandaise accorderait des privilèges injustifiés aux Maoris : pour Seymour, « autoriser ce débat signifie que ce n’est qu’une question de temps avant que la logique du projet de loi prévale et que chaque personne dans ce pays soit égale en droits ».

En attendant, les mobilisations en Nouvelle-Zélande continuent de grandir, portées par l’attention internationale reçue à la suite de la publication de la vidéo du haka de la députée Hana-Rawhiti Maipi-Clarke. Cette dernière a appelé à maintenir la pression sur le gouvernement : « Ce projet de loi divise notre pays ; le traité nous unit, tous âges et toutes races confondues. » 

Reste à savoir quelle vision de la démocratie triomphera dans les années à venir.

Solenn Michel

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