En 2020, le Parlement des Etudiants avait le plaisir de partager la collaboration entre le dessinateur Kokopello et la section de Bordeaux de l’association. Aujourd’hui, à l’occasion de la sortie événement de la bande dessinée Palais Bourbon : les coulisses de l’Assemblée nationale, nous le retrouvons pour évoquer son parcours, la conception du projet, ses engagements, et la suite pour lui.
Petite biographie / Ton parcours / Quand est-ce que tu t’es mis à dessiner ?
Je suis Antoine Angé, alias Kokopello, j’ai 29 ans et je suis l’auteur de Palais Bourbon une bande dessinée à paraître le 22 janvier aux éditions Dargaud et Le Seuil.
J’ai grandi entre une cité du Blanc Mesnil et un pavillon à Tremblay-en-France. Quand j’étais petit, je voulais être auteur de bande dessinée ou chevalier Jedi. Les sabres lasers n’étant pas encore d’actualité, j’ai rapidement commencé à prendre quelques cours de dessin avant d’entamer des études de cinéma à l’université Paris VIII. J’ai ensuite passé cinq ans à travailler dans une société de restauration de films anciens en édition vidéo, en gros j’étais chargé d’éditer des DVD de Charlie Chaplin, John Ford et Georges Méliès. C’était passionnant mais l’idée d’écrire une bande dessinée me travaillait de plus en plus…
Comment a débuté l’aventure Palais Bourbon ?
L’aventure débute lors de la précédente campagne présidentielle. En 2016, l’élection américaine venait de se terminer et l’on voyait fleurir des fake news un petit peu partout. Je viens d’un milieu qui est très peu engagé politiquement, aucun de mes amis n’est dans un parti et pourtant on parlait beaucoup politique entre nous. C’est ce qui m’a donné envie de m’engager, d’abord par curiosité pour voir la politique de l’intérieur. J’ai poussé la porte d’un premier comité, celui d’Arnaud Montebourg, candidat malheureux à la primaire de la gauche. J’y ai appris ce que faisaient les militants : distribuer des tracts, coller des affiches, organiser des café-débats, participer aux meetings… Le soir, je notais et dessinais ce que j’avais pu faire durant la journée, un peu comme un journal de bord.
J’avais misé sur le mauvais cheval, fin janvier 2017, Montebourg perd la primaire, le résultat est terrible pour les militants qui ont fait campagne durant de longs mois pour sa candidature. Aucun autre candidat ne me correspondait véritablement, alors je me suis lancé un pari : infiltrer les cinq principales équipes de campagne jusqu’à l’élection présidentielle. Durant 4 mois, j’ai fait campagne pour cinq candidats différents, de la France insoumise au Front national en passant par les équipes de Benoît Hamon, François Fillon et Emmanuel Macron. J’ai continué mon journal de bord entamé chez Montebourg et j’ai commencé à ouvrir un blog pour raconter cette expérience. Le site a été découvert par un journaliste du HuffPost qui m’a proposé de relayer l’aventure dans son journal, chaque semaine je devais faire une publication racontant mon expérience.
J’ai ensuite laissé passer les législatives, faire campagne pour un candidat c’est fatiguant, mais pour cinq à la fois c’est véritablement épuisant !
Suite à la campagne présidentielle, je me suis aperçu que les gens se désintéressaient de la politique, lors des législatives, plus d’un français sur deux n’est pas allé voter, c’est considérable. Moi-même je ne connaissais pas vraiment le rôle de mon député, j’avais toujours l’image de vieux en costards gris qui s’engueulent. D’ailleurs, j’avais l’impression qu’ils n’étaient jamais dans l’hémicycle, mais du coup, où sont-ils ?
Pourquoi ce thème, pourquoi le Palais Bourbon ?
Devant la méconnaissance de l’institution, je me suis dit que si j’avais réussi à infiltrer les cinq principales équipes de campagne, je réussirais à infiltrer l’Assemblée nationale. Ce n’est pas chose facile lorsqu’on n’est ni député, ni collaborateur, ou journaliste… Toutes les semaines après mon travail, je me rendais aux séances publiques, le seul moyen pour moi d’entrer au palais. J’ai commencé à caricaturer les députés avant de poster mes dessins sur un compte Instagram nommé « Palais Bourbon ». Plusieurs députés ont suivi ce compte et ont fait tourner mes caricatures dans l’hémicycle. J’ai contacté la députée de ma ville d’origine, Clémentine Autain pour lui exposer le projet de faire une bande dessinée sur le quotidien d’un député. Elle m’a présentée à sa collègue Elsa Faucillon, puis j’ai été invité par Thomas Mesnier à exposer mes dessins au sein de sa permanence pour le festival de la bande dessinée d’Angoulême. Ces trois députés ont ensuite fait une demande à l’attention de François de Rugy, alors président de l’Assemblée nationale, pour que je puisse avoir un accès permanent à l’Assemblée. Le projet a donc commencé grâce à une députée de la France insoumise, une députée communiste et un député en marche ! Après plusieurs mois de relance, le cabinet du président m’attribuait enfin un badge d’accès au palais Bourbon, ce précieux sésame m’ouvrait toutes les portes de l’institution.
Combien de temps as-tu bossé sur ce projet ?
L’album retrace le récit de trois ans d’enquête dans les couloirs du Palais Bourbon et en circonscription, il faut savoir être patient… ça prend du temps quand on est jeune dessinateur d’entrer dans ces lieux de pouvoir et de bien saisir leur fonctionnement !
C’était important pour toi d’amener un côté pédagogique à cette BD, de permettre aux gens de découvrir les institutions ? Pourquoi ?
Je voulais dépoussiérer l’institution et la rendre accessible car j’ai l’impression qu’elle ne l’est plus. La difficulté de l’exercice a été d’expliquer ce qu’il se passe au Palais Bourbon, le quotidien des députés et le travail parlementaire, tout évitant un côté institutionnel qui peut vite paraître barbant. Pour comprendre ce que nos députés font dans leur quotidien, il fallait faire un peu de pédagogie sur ce qu’est une commission, une mission d’information, un groupe d’études, etc. Peu de gens savent ce font véritablement leur député au quotidien, il faut dire que le travail en circonscription est aussi difficilement quantifiable.
C’est pour cela que j’ai choisi de rendre compte de l’action de nos députés dans les riches couloirs du Palais mais aussi en circonscription, dans les territoires. Le rythme de l’album suit l’emploi du temps d’un député. On se retrouve en commission des finances avec Charles de Courson avant d’enchaîner sur une manifestation de gilets jaunes auprès de François Ruffin puis de prendre la voiture en compagnie de Jean Lassalle…
As-tu une petite anecdote à nous raconter ?
L’anecdote la plus improbable est dessinée dans l’album, il s’agit de la rencontre avec la mère de Jean Lassalle. A ce moment-là, j’étais parti dans les Pyrénées pour le suivre dans sa circonscription mais Jean Lassalle n’arrivait que le lendemain. Ses collaboratrices parlementaires m’ont rapidement dirigé vers la maison de Marie, sa mère. Elle habitait dans le village natal de Jean Lassalle à Lourdios Ichère sur un flanc de montagne. Elle m’a servi – en grande quantité – du greuil, une sorte de fromage de brebis avec de la grenadine. Puis elle m’a fait rentrer ses poules, m’a refait manger, puis elle m’a donné un bâton de berger avant de m’ordonner d’aller rentrer ses brebis. Et là, on se dit qu’on est bien loin des ors de la République !
Quel moment de l’actualité t’as le plus marqué pendant cette période ?
Un des moments les plus marquants de cette aventure est certainement la venue de Greta Thunberg à l’Assemblée nationale. Ce jour-là, elle a été reçue avec d’autres jeunes du Youth4climate et a été invitée à s’exprimer devant les députés et collaborateurs. Il y avait d’un côté ces jeunes très engagés qui voulaient vite faire bouger les choses pour le climat, et de l’autre les députés qui étaient un peu embarrassés de ne pas avancer assez vite. Ce sont deux mondes, voire différentes générations, qui se confrontaient et peut-être la première fois, aussi, que des jeunes pouvaient interpeller des députés sur ces sujets de façon aussi directe.
Quel a été le regard des députés vis à vis de ton travail ?
La bande dessinée souffre encore d’une image un peu naïve, réservée à un jeune public. C’est pourquoi quelques députés plus anciens n’ont pas souhaité participer au projet, mais il a été plus facile pour moi de contacter les jeunes élus. J’ai eu la chance durant cette aventure d’avoir à faire à une Assemblée rajeunie, je pense que ça m’a ouvert quelques portes. Ces jeunes élus étaient déjà sensibilisés à la bande dessinée et ils m’ont totalement laissé libres de raconter ce que je voulais.
Il y a une différence entre le député des médias et celui que l’on peut côtoyer au quotidien. Lorsqu’on allume une caméra ou un micro devant un homme politique, il se transforme. Devant un carnet à dessin, il est moins méfiant, la bande dessinée, même si elle n’est pas prise au sérieux par tous, jouit tout de même d’une image sympathique auprès des députés et du grand public, c’est à la fois une force et une faiblesse.
Quels sont tes projets pour la suite ?
La suite logique serait de suivre nos chers sénateurs au palais du Luxembourg ! Je vais voir, c’est une autre ambiance. J’ai aussi d’autres projets de prévus pour la prochaine présidentielle, je n’ai pas terminé d’observer la politique en tous cas…
Comment as-tu découvert cette association ? Quel est ton lien avec le PE ?
J’ai découvert le Parlement des étudiants sur Bordeaux grâce à Elsa Auriol, aujourd’hui vice-présidente du PE. L’idée de se mettre à la place de nos députés lors de simulations parlementaires m’a vraiment plu. J’ai pu assister à quelques séances du PE pour caricaturer les étudiants, on se prête vite au jeu et bien souvent ces séances n’ont rien à envier à la joute parlementaire que l’on peut observer dans l’hémicycle ! C’est une autre manière de rendre accessible le travail parlementaire et on en a bien besoin.
Toi qui as vu et vécu à l’intérieur des instituions, quel conseil donnerais-tu à un jeune qui veut s’engager dans le monde politique ?
Observer et ne pas se précipiter, la politique c’est tout un monde et ça ne sert à rien de griller toutes les étapes en essayant de se positionner à tous prix. Au contraire, je pense qu’il faut rester fidèle à ses valeurs, l’écoute est une force. Quand on est jeune, on n’est parfois pas assez pris au sérieux, on a beaucoup de choses à prouver et cela peut prendre du temps, la patience est un atout.
L’un des objectifs principaux de l’association cette année est la diversité et notamment la parité en politique, est-ce un objectif du Palais Bourbon, y a-t-il des actions en ce sens ?
On voit déjà que de nombreux partis mettent en place des listes paritaires lors des élections. Ce système a permis d’augmenter le nombre de femmes au sein du Palais Bourbon mais il y a encore du travail à faire (on est à un petit peu moins de 40% de femmes dans l’hémicycle). Il y a eu une volonté de donner aux femmes plus de postes importants au sein de l’institution, je pense aux présidentes de commissions ou même à la députée Laurianne Rossi, nommée questeure de l’Assemblée. De manière générale, on entend moins de remarques sexistes, le mouvement #metoo a libéré la parole sur les réseaux sociaux, les hommes députés font plus attention à leurs gestes et à leurs attitudes. Néanmoins, les postes à responsabilités comme les présidences de groupe restent occupés majoritairement par des hommes. Une députée m’a aussi confié que certains élus conservateurs faisaient exprès de couper la parole aux femmes dans les commissions. Il y a une amélioration donc… Mais il y a encore du travail !
Quel conseil pourrais-tu donner à une femme qui veut s’engager dans le monde politique ?
De foncer, on a longtemps laissé penser que la politique était un domaine réservé aux hommes. Cette idée reste tenace, on le voit dans les comités militants, il y a parfois une autocensure des femmes dans les partis. Il y a encore du travail, donc mesdames, n’hésitez pas à pousser la porte des partis, les militantes d’aujourd’hui seront nos grandes dames de demain !